Jef Van de Mollendijk (3)

La police a décidé de faire du zèle sur l’autoroute E 42. Leurs deux véhicules tapis à l’entrée de l’aire de service de Saint-Ghislain, les représentants de l’ordre attendent leurs proies. Les informations parviennent dans les récepteurs :

« Une véoué immatriculée 1-FZM-798, 135 kilomètres à l’heure. Une moto, 1-KVL-451, 240.

– Deux cent quarante ! s’écrie Jef. Il n’a pas froid aux yeux, celui-là !

– Vous vous en occupez, lui dit son chef. Moi je m’occupe de la véoué dans l’autre véhicule.

– Oui, chef ! »

La motocyclette fautive ne tarde pas à apparaître dans le paysage. Jef s’avance et fait signe de s’arrêter. Le bolide freine, bloque ses roues qui crissent, dérapent et impriment sur l’asphalte les marques de leur gomme fumante. L’engin s’immobilise, la roue avant à quelques centimètres du genou du jeune policier qui a fait preuve d’un sang-froid remarquable. La pilote enjambe sa monture, la cale sur sa béquille, elle ôte son casque et secoue la tête pour remettre en ordre sa longue chevelure d’obsidienne.

Jef ne s’attendait pas à pêcher un tel requin dans ses filets. La fille campée devant sa moto, les jambes légèrement écartées, le défie de son regard d’émeraude. Elle est enveloppée d’un blouson entrouvert et d’une jupe très courte de cuir noir. Il croit voir en face de lui Brigitte Bardot, du temps de sa splendeur, devenue brune, ne craignant personne sur sa Harley Davidson. Incapable de supporter l’éclat de ses yeux, il abaisse les siens, parcourant son corps dans toute sa longueur, enveloppant du regard ses jambes moulées dans des cuissardes et ses cuisses admirablement galbées, puis remonte ce long fleuve jusqu’à l’océan de son décolleté dans lequel il boit la tasse. Il lui faudra quelques secondes pour refaire surface.

« Euh… Police de Mons-Borinage. Savez-vous que sans une tenue adaptée, vous risquez des blessures très graves en cas de chute ? Même à trente kilomètres à l’heures, votre corps serait déchiqueté. Et vous savez à quelle vitesse vous rouliez ?

– Non, je n’en sais rien. Je ne peux pas regarder à la fois la route et le tableau de bord.

– Ne me prenez pas pour un imbécile ! Cette phrase-là, je l’entends cinquante fois par jour. Deux-cent-quarante kilomètres à l’heure ! Et vous ne vous êtes pas rendu compte que vous rouliez un peu vite ?

– Deux-cent-quarante ? Ce n’est rien, ça. Avec cet engin-là, je peux monter à deux-cent-nonante, trois cents avec le vent dans le dos.

– Attention ! Vous n’êtes pas loin de l’outrage à représentant de la loi. Ça pourrait vous coûter cher. Sortez-moi les papiers du véhicule, certificat d’immatriculation, assurance, permis de conduire, et suivez-moi. »

Jef fit asseoir la jeune fille dans la camionnette et inspecta ses documents.

« Vous vous appelez Carmen Planckaert, vous êtes née le quatorze avril nonante-six à Tournai. Vous avez donc dix-neuf ans. Vous habitez rue du Bas-Coron houit, à Péruwelz.

– Puisque c’est écrit.

– Faites bien attention, mademoiselle ! Vous prenez votre plaisir à me chercher, mais vous allez me trouver ! Je vais m’occuper de votre cas !

– Et vous ? Vous vous appelez comment ?

– Qui ça ? Moi ? Euh… C’est Jef… Jef Van de Mollendijk.

– Van de Mollendijk ! Et vous allez me dire que vous êtes wallon, avec un nom pareil ! »

La réplique de Carmen lui fit l’effet d’un coup de poing dans la figure. Comment lui, un policier connaissant son métier, avait-il pu manquer de professionnalisme au point de répondre à cette question ? À partir de cet instant, il avait perdu sa position dominante. Cette petite insolente venait de culbuter son autorité.

« Moi, c’est Planckaert, comme la dynastie de coureurs cyclistes. Ça, c’est un vrai nom wallon. Mais moi je préfère la moto. Si j’avais les guiboles d’Eddy Merckx, je plairais sûrement moins aux hommes. Et ne me dites pas qu’elles vous déplaisent, mes jambes, vous n’arrêtez pas de les regarder depuis un quart d’heure. Vous n’êtes qu’un gros porc concupiscent. »

Cette fois-ci, Carmen lui a porté le coup de grâce. Elle vient de le ridiculiser à mort. Encore heureux qu’il soit seul avec elle et qu’aucun de ses collègues n’ait assisté à la scène ! Pendant qu’il tape son procès-verbal, elle achève sa victime en le mitraillant de son redoutable regard, à la fois autoritaire et séduisant. Jef sort le document de l’imprimante. Quant à l’océan que nous venons d’évoquer, il y a fait naufrage.

« Je vous ai fait un rapport. Outre l’excès de vitesse, j’ai aussi mentionné l’absence d’équipement de protection. Un casque intégral, ce n’est pas suffisant. Je préfère ne rien dire au sujet de votre attitude insolente et provocatrice. Vous recevrez un courrier. Attendez-vous à des sanctions lourdes. Voici vos papiers. Tâchez de rouler un peu moins vite. Vous finirez par vous tuer.

– C’est ce que je désire : mourir avec ce fauve d’acier entre mes cuisses. Je n’ai pas peur de l’au-delà, je sais où je vais : en enfer. »

Pendant que Carmen s’éloigne et enfourche à nouveau sa Harley, Jef s’assied, la tête dans ses mains. Que lui est-il arrivé ? Jamais une femme, si belle soit-elle, ne l’avait ainsi déstabilisé. Il sortit enfin de la fourgonnette. Son chef, qui vient justement d’en terminer avec le conducteur de la Volkswagen, l’interpelle :

« Où est la fille ?

– Elle est repartie.

– Comment ça ? Repartie ? Sur sa moto ?

– Euh… oui.

– Habillée comme ça ?

– Oui.

– Est-ce qu’elle a soufflé dans l’alcotest ?

– Euh… non ? J’ai oublié…

– Vous avez oublié ! Depuis le temps que vous travaillez avec nous, vous êtes censé connaître les procédures. D’abord, il fallait la soumettre à l’alcotest. Deuxièmement, dans un cas pareil, on confisque le permis de conduire et on immobilise le véhicule. Elle aurait téléphoné à quelqu’un pour venir la chercher, ce n’est plus notre problème. Vous allez en entendre parler, de cette histoire-là. C’est moi qui vous le dis. »

Au terme de cette pénible journée, Jef retrouva enfin sa fiancée. Rachel reconnut tout de suite à son visage qu’il était contrarié.

« Qu’est-ce qui ne va pas, mon chéri ?

– J’ai fait une bêtise à mon travail. Je crois que je vais me faire virer.

– Tu peux m’en dire un peu plus ?

– Non, je ne préfère pas. Plus tard, peut-être.

– Je comprends, mais ne t’en fais pas. Nous allons prier ensemble. Le Seigneur a certainement d’autres plans pour toi. »

***

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© 2021 Lilianof

Publié par Lilianof

J’avais quatorze ans lorsque m’est venu le désir de devenir écrivain. Mais après l’adolescence, j’ai décidé de ne plus écrire. Ce n’est qu’après trente ans de silence que m’est venue l’idée d’une très courte comédie : « Un drôle d’héritage ». C’était reparti ! Après avoir été facteur dans l’Eure-et-Loir, je suis installé, depuis 2013, à Vieux-Condé, où je retrouve mes racines, étant petit-fils de mineur. La Bible et Molière sont mes livres de chevet.

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