Jef Van de Mollendijk (9)

Rachel, au lieu de crier sa peur, se met à chanter de son agréable voix de soprano.

« Torrents d’amour et de grâce
Amour du Sauveur en croix
À ce grand fleuve qui passe
Je m’abandonne et je crois. »

Jef saisit au vol le ténor dès le refrain.

« Je crois à ton sacrifice,
Ô Jésus, Agneau de Dieu,
Et couvert par ta justice
J’entrerai dans le saint lieu. »

Qu’est-ce que c’est que cette chanson ? hurle Carmen en se tenant les oreilles. C’est horrible !

« Prend l’alto, dit Rachel, et que ton maître prenne la basse, il paraît que le diable connaît la musique. C’est encore plus beau à quatre voix.

– Et d’où sort cette lumière ?

– C’est vrai qu’il fait clair tout d’un coup.

– C’est depuis que vous vous êtes mis à chanter.

– “Nous sommes la lumière du monde, poursuit Rachel. Une ville bâtie sur une montagne ne peut être cachée et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.”[1]

– Le monde n’a pas besoin de lumière, et ma maison encore moins.

– Et il y a encore quelque chose qui me chiffonne dans ta théorie. Comment veux-tu que nous allions te tenir compagnie en enfer alors que nous appartenons tous les deux à Jésus-Christ ? Notre place est dans les lieux célestes, assis à ses côtés, et nous nous y passerons l’éternité à nous aimer.

– C’est pas des carabistouilles ?

– Bien sûr que non, intervient Jef. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que toi, Carmen Planckaert, tu ne périsses pas, mais que tu aies la vie éternelle.

– Attendez ! Je suis un peu perdue, là. Il faut que j’interroge le maître. »

Elle se penche, contemplative sur sa planche ouija et pose directement sa question.

« Ô grand Baal ! Seigneur et prince des esprits de la terre et de l’air, toi qui possèdes la toute-connaissance, que dois-je faire de ces deux castards ? »

Elle lut à haute voix le nom des lettres désignées par l’occulte puissance :

« B… U… I… T… E… N… Je n’y comprends rien. Qu’est-ce que c’est que ce galimatias ?

– Dehors ! répond Jef.

– Quoi ?

– Si le diable parle flamand, tu as intérêt à t’y mettre. Buiten, ça veut dire “dehors”. Alors si même ton copain Bélial en a marre de nous voir, tu vas prendre ton petit couteau et tu vas couper nos liens. Au revoir et à la prochaine. »

***

C’est la mort dans l’âme que Carmen dut rendre la liberté à ses prisonniers. Rachel et Jef prennent tous deux, joue contre joue et cœur contre cœur, le chemin vers une vie nouvelle.

***

Carmen est toute déprimée. Pour se remonter le moral, elle endosse son blouson de cuir, chausse ses bottes à cuissarde, avale trois grands verres de whisky et enfourche sa Harley Davidson. Elle s’élance à tombeau ouvert sur l’autoroute, sans casque ni permis de conduire. Elle se fait contrôler à deux cent quatre-vingts kilomètres à l’heure. Un jeune policier lui fait signe de s’arrêter.

***

Le Rieu de Condé, 30 août 2015


[1] Matthieu 5.14/15

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Publié par Lilianof

J’avais quatorze ans lorsque m’est venu le désir de devenir écrivain. Mais après l’adolescence, j’ai décidé de ne plus écrire. Ce n’est qu’après trente ans de silence que m’est venue l’idée d’une très courte comédie : « Un drôle d’héritage ». C’était reparti ! Après avoir été facteur dans l’Eure-et-Loir, je suis installé, depuis 2013, à Vieux-Condé, où je retrouve mes racines, étant petit-fils de mineur. La Bible et Molière sont mes livres de chevet.

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