ACTE IV
Premier tableau
Décor d’Acte III premier tableau. L’esplanade est déserte.
Scène Première
APOLLOS – THÉOPHILE – PRISCILLE
PRISCILLE
Que ce mur est sinistre et la place déserte !
Les rues privées de vie, la cité morte !
THÉOPHILE
Certes,
La divine cité se noie dans la torpeur.
APOLLOS
I-Kabod ! Plus de gloire et les hommes ont peur.
Quand la gloire de Dieu de la ville est chassée,
Les idoles de bois dans le temple entassées,
Quand le divin soleil a fait place à la nuit,
Dieu dit : « de vos cantiques éloignez-moi le bruit. »
PRISCILLE
Abandonnée du ciel, débauchée par les hommes,
La ville prit le nom d’Égypte et de Sodome.
Le Canaan fertile devient un gris désert.
APOLLOS
De l’ire de l’Agneau les sept sceaux sont ouverts.
Sept archanges sonnèrent, sept éclats de trompette.
Guerres, épidémies, tornades et tempêtes ;
Les prophètes jamais ne se sont égarés.
Les malheurs sont venus tels qu’ils l’ont déclaré.
Mille flèches de Dieu frappèrent les étoiles,
Pour masquer le soleil il a jeté le voile.
La lune s’est cachée de honte et de frayeur.
THÉOPHILE
Comme en la vieille Égypte : obscurité, terreur.
PRISCILLE
Malheur ! Malheur ! Malheur ! Habitants de la terre !
Ainsi criait un ange à la voix de tonnerre.
Les trompes de la mort vont bientôt retentir
Mais aucun des pécheurs ne veut se repentir.
APOLLOS
Et dix mille volcans soudain se réveillèrent :
Noires fumées, brasiers et laves incendiaires.
Le ciel est en courroux ; qui pourrait l’arrêter ?
Dieu règle enfin ses comptes envers l’humanité,
Cette génération adultère et méchante,
Acompte de l’enfer et sa fournaise ardente.
THÉOPHILE
Et du puits de l’abîme il est donné la clef,
Et montent par millions des insectes ailés.
Venin chargé de feu, victimes misérables !
Sauterelles d’acier, leur dard impitoyable…
PRISCILLE
Sauterelles armées ainsi que des chevaux
Préparés à la guerre, puissant comme taureaux.
THÉOPHILE
D’or pur et de saphir leur tête couronnée
Pour torturer sans fin force leur est donnée.
Piqûre de scorpion, morsure de serpent,
Et l’on se roule à terre. Ô terreur ! Ô tourment !
Et l’on entend crier telles âmes damnées.
Tu t’es moqué de Dieu, voilà ta destinée.
On appelle à la mort, au poignard, au poison,
La corde autour du cou, la balle dans le front.
La corde point n’étrangle, la lame plus ne tue.
Ne donnent point la mort l’absinthe et la ciguë.
APOLLOS
C’est au bout de leur queue que frappe l’aiguillon.
Et l’ange de l’abîme, en grec Apollion,
Se donne pour leur roi.
THÉOPHILE
Cinq longs mois de souffrance…
La marque sur nos fronts devint notre espérance.
Marqués du sceau divin, cette protection
Seule écarte de nous l’abomination.
APOLLOS
D’autres malheurs viendront, des trompettes nouvelles,
Et des morts par milliers après les sauterelles…
PRISCILLE
Assez ! Tous ces chevaux avec leurs cavaliers,
Hormis l’Agneau vivant, qui les pourra lier ?
Il me semble pourtant que dans la grande ville,
– Babylone, s’entend, – l’on vit calme et tranquille.
APOLLOS
Babylone, il est vrai, à l’abri du danger
S’appuie sur le tyran qui la veut diriger.
« Venez à moi, dit-il, à l’ombre de mes ailes,
Moi le rival de Dieu, moi Nimrod, le Rebelle,
J’ai vaincu l’Adonaï. En cette qualité,
Je vous donne la paix et la sécurité. »
Cependant Babylone un jour sera détruite.
Pour ses princes moqueurs, point d’issue, point de fuite.
Babel qui, par ces jours, se dresse fièrement
Sera brisée de honte au jour du châtiment.
(Moïse et Élie apparaissent brusquement derrière le groupe.)
Scène II
APOLLOS – THÉOPHILE – PRISCILLE – MOÏSE – ÉLIE
MOÏSE
Que voilà, jeunes gens, parler comme bons scribes !
PRISCILLE
H ! Vous m’avez fait peur !
MOÏSE
Votre habile diatribe
Trahit chez vous l’esprit indocile et frondeur.
Vous avez de l’audace.
PRISCILLE
Et vous m’avez fait peur.
MOÏSE
Loin de nous le dessein d’effrayer la jeunesse.
Vous seriez, je le pense, habile prophétesse.
APOLLOS
Qui êtes-vous ?
MOÏSE
Ne nous reconnaissez-vous pas ?
On achète très cher, pourtant, notre trépas.
THÉOPHILE
Moïse, Élie ?
MOÏSE
Voilà ! Deux témoins en personne,
Cauchemar assuré du roi de Babylone,
Ennemis malgré nous de ce monde perdu.
Que de morts évitées s’il nous eut entendus !
ÉLIE
Mais vous venez de loin pour régler votre affaire.
Faites-le promptement.
THÉOPHILE
Nous ne comprenons guère.
ÉLIE
Mon message, pourtant, à saisir est aisé.
Comme Judas trahit son frère d’un baiser,
Vous recevrez bientôt de Nimrod un salaire
Si tels bons chiens dressés vous œuvrez à lui plaire.
THÉOPHILE
Prophètes accomplis, sur nous vous savez tout :
Pourquoi Plogrov envoie ses valets près de vous.
ÉLIE
Le ferez-vous ?
THÉOPHILE
Nenni. Qu’il le fasse lui-même !
Lèverions-nous la main sur les serviteurs blêmes,
De la foi revêtus, armés d’un bouclier,
De l’épée de l’Esprit, que nul ne peut lier,
Par la force de Dieu proclamant le message.
Invincibles enfin ?
ÉLIE
Voilà parler en sage.
Invincible, pourtant, ne sommes nullement.
L’Éternel seul connaît le jour et le moment.
Fermes comme l’airain, solide comme chêne
Mais bientôt nous mourrons. N’en soyez pas en peine.
N’a-t-on crucifié Jésus, notre Seigneur ?
Il faut bien que Satan pour un jour soit vainqueur.
Mais Jésus de la mort a glissé vers la vie.
De vous avoir connus nos âmes sont ravies.
Passez votre chemin, n’en soyez point navrés.
Vous direz à Plogrov : « Nous n’avons pas trouvé ? »
(Apollos, Théophile et Priscille s’éloignent. Entrent Plogrov et Yvonnick.)
Scène III
MOÏSE – ÉLIE – PLOGROV – YVONNICK – gens du peuple
MOÏSE
Voici venir le loup avec sa jeune louve.
ÉLIE
Il suffit d’en parler, ces deux fauves l’on trouve.
PLOGROV
Où sont les deux tueurs que j’avais engagés ?
YVONNICK
N’étions-nous pas venus pour les voir égorgés ?
Mais ils sont bien vivants, nous narguant sans nous craindre.
Ces gaillards épargnés n’ont pas lieu de se plaindre.
Qui nous délivrera de ces deux échalas ?
Nous avons assez vu cette vermine-là !
MOÏSE
Plogrov, tu nous tueras ce matin sans vergogne.
Accomplis sans délai ta sinistre besogne.
PLOGROV
Les témoins de l’Agneau sont pressés de mourir,
Revendiquant la gloire qu’il promet aux martyrs.
(Depuis le début de la scène, les gens du peuple commencent à affluer sur l’esplanade.)
RUMEURS DANS LE PEUPLE
Plogrov ! – Il est ici ! – Et voici son épouse,
Bien trop jeune pour lui. – Ne soyez pas jalouse !
– L’empereur de la terre, qui nous veut cet honneur ?
– Il fait front aux prophètes. – Il va faire un malheur !
MOÏSE
Plogrov, aurais-tu peur ? Du Dieu vivant la flamme
Aurait intimidé l’usurpateur infâme ?
PLOGROV
Infâme, soit. C’est vous qui nous persécutez.
L’élu du diable seul peut vous exécuter ;
Et je suis celui-ci, le bras de la vengeance.
L’enfer arme mes mains, tremblez en ma présence.
À genoux, chair immonde, magiciens odieux !
MOÏSE
Nous ne tremblerons pas.
PLOGROV
Témoins du ciel, adieu.
(Plogrov tire un coup de feu et abat Moïse.)
YVONNICK
Juste entre les deux yeux ! C’est tirer comme un maître.
Tu l’as bien descendu, ce sacripant, ce traître.
À mon tour, maintenant. Saurai-je viser mieux ?
C’est l’heure de mourir. Vieille peste, à nous deux !
Pour qu’il souffre longtemps, ce vieillard imbécile,
Où faudra-t-il planter ce puissant projectile ?
Dans le foie ? Dans les tripes ?
PLOGROV
Allons ! N’en fais pas trop.
Abats-le d’une balle.
YVONNICK
Regarde-moi, héros !
D’où te viens cette audace et cette indifférence ?
Tu devrais à mes pieds implorer ma clémence.
Mais tu ne trembles pas. Dans tes yeux nulle peur.
ÉLIE
J’attends du ciel ma récompense, et…
YVONNICK
Alors meurs !
(Elle tire plusieurs coups de feu. Il meurt.)
PLOGROV
Dieu doit être fâché, là-haut sur son nuage.
YVONNICK
Mais j’aurais préféré qu’il souffre davantage.
PLOGROV
C’est fini ! Moi, Nimrod, monarque universel,
Vainqueur de l’Adonaï, me proclame éternel.
Ma puissance infernale est montée des abysses.
Qu’on m’adore, à présent, qu’un temple on me bâtisse.
Je pétris l’univers, le monde entre mes doigts,
Comme boule de glaise. Nimrod, le roi des rois,
Le seigneur des seigneurs. J’ai dompté la nature.
YVONNICK
Que fait-on de ceux-là ? Et quelle sépulture ?
PLOGROV
De sépulture point. Les vautours, les corbeaux
Leur nettoieront les os. Le banquet sera beau.
Que de leurs corps infects on voie la pourriture.
Abandonnons aux vers ces viles créatures.
Dansons sur leurs cadavres, l’heure est aux grands festins.
Dansons toute la nuit. Dansons jusqu’au matin.
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