Second tableau
L’entrée d’une caverne dans le Périgord. Le paysage alentour est verdoyant.
Scène V
THÉOPHILE – PRISCILLE
THÉOPHILE
Que de renversements ! Priscille, quelle vie !
PRISCILLE
Les hommes des forêts nous porteraient envie.
Chassés de Babylone, menacés et bannis,
Dans le Périgord noir nous fîmes notre nid.
À l’écart de ce monde et de sa dictature,
Nous vivons sans soucis pour notre nourriture.
THÉOPHILE
Adieu belle maison, adieu notre confort,
Et lingots et bijoux dans notre coffre-fort,
Nos richesses d’antan réduites en poussière !
PRISCILLE
Nous avions assemblé tant de biens sur la terre,
L’église avait promis paix et prospérité,
Trésor que le voleur dérobe, en vérité.
Eussions-nous écouté de l’Époux la promesse,
Nous serions près de lui, et le cœur en liesse,
Nous aurions dans nos vies de précieux trésors.
THÉOPHILE
Priscille, devons-nous pleurer sur notre sort ?
Nous subissons ce joug et ce n’est que justice,
Mais où est le malheur, où est le préjudice ?
Nous vivons séparés de ce monde pervers,
Loin des villes souillées, dans ce théâtre vert
Nous avons retrouvé la vie de nos ancêtres.
Dieu pourvoit chaque jour aux ressources champêtres.
Comme Ève et comme Adam, chassés du paradis,
À la sueur du front cultivons nos radis,
Ensemençons de blé la terre généreuse
Et cuisons notre pain ; et la chair savoureuse
De cailles, de perdrix tombées dans les filets,
Des fruits de la Vézère, carpes truites, brochets
Se nourrissent nos corps. Toute cette abondance
Est pourvue par le ciel et par sa providence.
PRISCILLE
Cette large vallée, voilà notre verger ;
Sur son peuple, là-haut, veille notre berger.
La caverne est à nous pour impériale suite,
L’eau, pour nous abreuver, tombe des stalactites.
THÉOPHILE
Sur les sites anciens, jusques à Bergerac,
À Cro-Magnon, Lascaux, aux Eyzies de Tayac
Où sur le roc humide, étranges signatures,
Les hommes découvraient les arts de la peinture…
PRISCILLE
N’entends-tu pas au loin comme un bruit de moteur ?
THÉOPHILE
Un étranger ?
PRISCILLE
Qui est-ce ?
THÉOPHILE
Vite, à l’abri !
PRISCILLE
J’ai peur !
(Théophile et Priscille se cachent dans la grotte. Un motocycliste s’arrête à l’entrée, il met pied à terre, enlève son casque, découvrant le nombre 666-9 tatoué sur son front, et sort du coffre un grand sac.)
Scène VI
THÉOPHILE – PRISCILLE – APOLLOS
THÉOPHILE
Apollos !
PRISCILLE
Il est seul, chargé comme une mule.
THÉOPHILE
Ce traître est-il venu nous briser les rotules ?
Hélas ! Par quel démon nous est-il envoyé ?
PRISCILLE
Nous n’avons pas besoin de ce front barbouillé.
THÉOPHILE
Vois-tu la trahison qui marque sa figure ?
Sa visite, crois-moi, n’est pas de bon augure.
Restons dissimulés, peut-être il partira.
APOLLOS
C’est ici qu’ils demeurent, un repère de rats.
Ils avaient résidence autrefois plus cossue.
Se coucher chaque soir sur la pierre moussue
Avec tous les proscrits blottis au fond du val,
Vivant de leur sagaie comme Neanderthal.
Je préfère et de loin demeurer dans la ville.
Holà ! Quelqu’un ? Holà ! Priscille ! Théophile !
Vous êtes là, je sais, à quoi bon vous cacher.
Auriez-vous peur de moi ou seriez-vous fâchés ?
Je ne viens pas ici pour vous chercher querelle
Mais j’apporte pour vous d’importantes nouvelles.
(Théophile et Priscille sortent de la caverne.)
Vous habitez ici, le décor est charmant.
Êtes-vous satisfait de votre appartement
THÉOPHILE
Bien sûr. Et que nous vaut l’honneur de ta visite ?
APOLLOS
On dit que des croyants dans ces lieux troglodytes
Se cachent par milliers, fuyant la dure loi
Du prince de ce monde, ennemi de leur foi,
Défiant Babylone et ceux qui la gouvernent.
On dit que chaque jour, dans ces vastes cavernes
On ouvre en grand secret le livre défendu.
Vous partagez la Bible.
THÉOPHILE
Eh oui ! Bien entendu.
APOLLOS
Armés de vos guitares, vous chantez des cantiques.
On vous nomme rebelles, sectateurs fanatiques,
Et malgré les efforts du pouvoir plogrovien
Votre secte interdite progresse vite et bien.
PRISCILLE
N’êtes-vous point pasteur, vous devriez connaître
La parole du Christ, celui qui fait renaître.
APOLLOS
Habile meneur d’hommes et prêcheur éloquent.
J’ai connu l’Évangile et j’ai choisi mon camp.
Servir la Babylone est chose difficile,
Il faut être souvent caméléon, Priscille.
De tous ces dissidents à la chaude ferveur,
On dit qu’en leur milieu vous êtes les meneurs
Et menez votre orchestre en parfaits virtuoses.
On dit enfin de vous…
THÉOPHILE
On dit beaucoup de choses.
Meneur je ne suis point. Nous sommes serviteurs,
Servant comme le fit Jésus, notre Seigneur
Qui pour tous les pécheurs s’offrit en sacrifice.
APOLLOS
Sacrifice ! Voilà du chrétien le service !
Serviteur jusqu’au bout, servant jusqu’à mourir.
Et voilà justement où je veux en venir.
L’Antichrist a nommé reine de Babylone,
Esther, la juive impie, corruptible couronne !
Serpent des plus cruels, avide de pouvoir,
D’exterminer les Juifs se fait tout un devoir,
Par le fer, par le feu, par d’horribles supplices
De les faire périr elle fait son délice.
Il en meurt à ses pieds chaque jour plus de cent,
Reine dégénérée, toujours ivre de sang,
Ribaude dépravée, prostituée frivole,
Maîtresse sanguinaire, elle est devenue folle.
Pour les servants du Christ point de sécurité.
Vous vivez à l’écart de toute société
Et croyez ne pouvoir dépendre de personne
Mais c’est d’autre façon que l’ennemie raisonne
Et, faute de pouvoir vous vaincre par la faim
Elle a d’autres projets pour venir à ses fins.
Soldats et mercenaires parcourent monts et plaines,
Missionnés à trouver votre occulte domaine,
Vous aurez donc besoin de ma protection.
THÉOPHILE
Notre seul protecteur est le roi de Sion,
Il guérit les aveugles et fait perdre la vue.
Des soudards de Plogrov ne craignons la venue ;
Il sait quand il faudra nous cacher à leurs yeux.
APOLLOS
Qu’il envoie donc ses anges pour vous garder au mieux.
Quant à moi, je voudrais vous aider à survivre :
À titre de secours prenez ces quelques vivres.
PRISCILLE
De ces conserves-là nous n’avons nul besoin.
Soyez remercié, cher ami, pour vos soins.
Nous n’accepterons rien de la part de Tartuffe ;
Au pied des chênes, là, nous ramassons des truffes.
Quel prix les payez-vous ? Nous les mangeons gratis.
Alors, à quoi vous sert, au front ce triple six ?
APOLLOS
Le triple six… Je sais… Ma pauvre âme égarée…
Ô démarche insensée, cervelle évaporée !
La marque refusée, vous fîtes le bon choix,
J’écoutai du malin la séductrice voix,
Ainsi, pour effacer de mon forfait la honte
J’aide comme je puis chacun d’une main prompte,
Apportant du café, du pain, du riz, du sel
Et j’espère attirer quelque pitié du ciel.
Tout ce que ma main trouve à donner je le donne ;
Je bénis les croyants, que le Ciel me pardonne.
Adieu, j’ai fort à faire, amis, priez pour moi ;
Je sers un roi mortel et vous le Roi des rois.
Priez Jésus pour moi, intercédez sans cesse,
Priez avec ferveur, faites-m’en la promesse.
(Il repart sur sa motocyclette.)
Scène VII
THÉOPHILE – PRISCILLE
THÉOPHILE
Hélas ! Pauvre Apollos ! Quelle folie l’a pris ?
Il achète son pain chez Delhaize, à quel prix !
PRISCILLE
Séduit par les attraits d’une ignoble réclame,
Pour un sac de lentilles il a vendu son âme.
THÉOPHILE
Il essaie maintenant de gagner le pardon
Du ciel en apportant des aumônes, des dons.
Œuvre futile et vaine, inutile démarche.
Lorsque la passerelle fut retirée de l’arche
Était-il encor temps de frapper sur le bois :
« Noé, nous avons peur, reçois-nous sous ton toit. »
Il est pour notre Dieu, qu’y pourrions-nous donc faire
Des points de non-retour, et l’Écriture est claire :
Point de salut pour ceux que le diable a scellés.
« L’ange sur un ton fort et bien articulé
Dit : maudit qui adore la bête et son image,
Qui reçoit sur la main ou bien sur le visage
La marque de l’impie, il s’enivre du vin
De la rage terrible et du courroux divin.
Il sera tourmenté dans le soufre et la flamme,
Préparés pour Satan et ses servants infâmes.
Devant le Saint Agneau et les anges bénis
Durant l’éternité ceux-là seront punis.
Ainsi l’a décidé le Seigneur des armées
Jusqu’au siècle des siècles on verra la fumée.
Pour avoir adoré l’image du démon,
Pour avoir accepté la marque de son nom. »
Le pasteur Apollos, ô coupable faiblesse
A perdu tout espoir.
PRISCILLE
Mon Dieu ! Quelle tristesse !
THÉOPHILE
L’hiver paraît si long, attendons le printemps.
PRISCILLE
Le Livre dit aussi pour tous les résistants :
« Je vis placer des trônes, des juges s’y assirent.
Tous ceux qui sur la terre ont subi le martyre,
Tous ceux qu’on a tués, brûlés, décapités
Pour avoir témoigné du Christ ressuscité,
Pour avoir proclamé de Jésus le message,
Pour n’avoir adoré la bête et son image,
Pour n’avoir au Seigneur infligé cet affront
De porter du malin la marque sur le front,
Tous ressusciteront pour la vie éternelle
Et régneront mille ans, merveilleuse nouvelle. »
www.lilianof.fr
https://lilianof.com
https://www.thebookedition.com/fr/765_lilianof
https://plumeschretiennes.com/author/lilianof
https://www.facebook.com/lilianof59/
https://vk.com/lilianof
© 2021 Lilianof